Réflexions des membres fondateurs de l’ACECP

Pour célébrer le 35e anniversaire de l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine, nous avons demandé à quelques membres fondateurs de s’exprimer sur le chemin parcouru, et sur ce qu’il reste à faire dans le domaine de la conservation du patrimoine.

Soyez à l’affût : les textes d’autres membres fondateurs seront publiés tout au long de 2022.

Richard Unterman & Barbara McPhail

Richard et Barbara faisaient tous deux partie des membres fondateurs de l’ACECP 1987. Ils cumulent chacun plus de 40 ans d’expérience professionnelle dans le domaine du patrimoine culturel et bâti, ayant réalisé des projets pour des clients privés et publics. À titre d’associés du cabinet Unterman McPhail Associates, ils ont contribué à mieux faire comprendre et reconnaître les ressources culturelles patrimoniales grâce aux nombreux documents qu’ils ont produits (énoncés d’impact sur le patrimoine, évaluations du patrimoine culturel, rapports sur la valeur ou l’intérêt du patrimoine culturel, inventaires de biens patrimoniaux, etc.).

Entretien avec Richard et Barbara

L’ACECP, qui s’appelait à l’origine la Canadian Association of Professional Heritage Consultants (CAPHC), a été fondée à une époque où les projets liés au patrimoine relevaient d’initiatives gouvernementales et de fonctionnaires, principalement dans le secteur archéologique. À mesure que les programmes collégiaux et universitaires ont commencé à former des professionnels en conservation du patrimoine dans les années 1980, il y a eu un mouvement vers la consultation privée pour répondre à un besoin croissant à cet égard. À la fin de cette décennie, le temps était propice à la formation d’une organisation axée sur les besoins des experts en patrimoine issus de diverses disciplines, dans le but d’établir des normes professionnelles, de discuter de politiques liées au patrimoine et de faire entendre une voix unie auprès de tous les paliers gouvernementaux du Canada.

Outre les avancées considérables du côté des techniques de conservation des bâtiments, le patrimoine culturel a enfin été reconnu comme un facteur déterminant du processus décisionnel à tous les paliers, surtout au niveau municipal. Cela a mené à l’embauche de professionnels qualifiés pour gérer ce patrimoine culturel.

L’ACECP rassemble aujourd’hui des gens ayant les mêmes intérêts et est une porte d’accès à une expertise dans le domaine pour ses membres, mais aussi pour le public. Notre voix forte et unie influe sur la gestion du patrimoine culturel par l’intermédiaire de consultation sur des initiatives gouvernementales, des actes législatifs et des programmes. Mais ce qui est plus important encore, c’est que l’Association répond aux besoins de ses membres de partout au pays.

Le travail d’UMcA pendant plus de 30 ans auprès de la Ontario Power Generation, anciennement Ontario Hydro, s’est traduit par des recherches sur l’histoire et le développement des ressources culturelles patrimoniales (équipement, immeubles, biens…) liées à plusieurs sites d’énergie hydroélectrique de la province. Ces recherches ont aussi porté sur les communautés à proximité et les bassins hydrographiques locaux dans le but de préparer des plans de gestion de la conservation. UMcA a aussi commencé à travailler sur la conservation de ponts patrimoniaux au milieu des années 1980 en collaboration avec le gouvernement ontarien. Au fil des ans, nous avons, à titre de consultants privés, examiné et évalué un nombre incalculable de ponts routiers ou ferroviaires de juridiction fédérale, provinciale et municipale, et contribué à leur conservation.

Le gouvernement et le secteur privé devront reconnaître sans réserve le rôle de la conservation et de la protection du patrimoine dans l’action climatique. Le défi sera de faire accepter ce changement par les entreprises privées, sans mesures législatives de la part du gouvernement. C’est donc l’occasion pour l’ACECP de défendre haut et fort la cause de la conservation du patrimoine.

La discipline de la conservation du patrimoine évolue sans cesse. Aujourd’hui, elle est beaucoup plus inclusive. En raison du changement climatique et de l’enjeu des ressources renouvelables, nous espérons que la protection du patrimoine jouera un rôle accru dans le processus décisionnel et la gestion du développement des secteurs public et privé.

Le gouvernement et le secteur privé devront reconnaître sans réserve le rôle de la conservation et de la protection du patrimoine dans l’action climatique. Le défi sera de faire accepter ce changement par les entreprises privées, sans mesures législatives de la part du gouvernement. C’est donc l’occasion pour l’ACECP de défendre haut et fort la cause de la conservation du patrimoine.

David J. Cuming

M. Cuming cumule plus de 40 ans d’expérience dans le domaine du patrimoine culturel, auprès d’organismes tant publics que privés. Spécialisé en planification, en conservation des ressources culturelles patrimoniales, en design et en gestion, il agissait comme expert-conseil à son compte jusqu’à sa retraite en 2021. M. Cuming est l’un des membres qui ont fondé l’ACECP en 1987.

Entrevue avec David J. Cuming

Avant l’ACECP, il y a eu la Canadian Association of Professional Heritage Consultants (CAPHC). L’un des objectifs des praticiens qui ont fondé cet organisme dans les années 1980, c’était de créer une organisation professionnelle chargée d’établir les principes et les normes propres à chaque discipline. C’était important à l’époque, car le rôle et la valeur des consultants en patrimoine étaient en plein essor dans le secteur privé, une situation bien différente dans le secteur public.

J’estimais qu’une organisation professionnelle créerait le cadre nécessaire pour établir ces principes de manière à nous rendre redevables envers nos clients et responsables de fournir des conseils impartiaux et objectifs. La mise en place d’un code de déontologie, l’un des fondements clés de toute organisation professionnelle, est l’un des premiers sujets traités après la formation de l’association. Ce code nous a aidés à nous démarquer comme des professionnels qui maîtrisent les principes de conservation, comprennent les processus de planification, suivent la réglementation pertinente et appliquent de saines pratiques.

À mesure que la profession a évolué et que les experts en patrimoine sont passés du secteur privé au secteur public, la CAPHC a été rebaptisée l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine pour refléter la diversité des intérêts professionnels.

Un seul gros changement ne me vient pas en tête, mais les professionnels en conservation ont certainement mieux fait connaître l’importance du patrimoine culturel et des diverses formes que prend cet héritage dans nos collectivités d’un bout à l’autre du pays. C’est pourquoi il est beaucoup plus difficile de gérer les ressources culturelles patrimoniales aujourd’hui qu’il y a 30 ans : les lois ont évolué, et il faut maintenant consulter, écouter et adopter des processus qui facilitent concrètement l’atteinte des objectifs fixés. L’un des enjeux particulièrement préoccupants, c’est la tendance inquiétante en Ontario d’exclure ou de limiter l’enjeu de l’héritage culturel des processus de développement dans les secteurs public et privé. C’est sans aucun doute un pas en arrière.

L’impact le plus important a été d’attirer de plus en plus de membres issus de différentes disciplines, ce qui crée un précieux bassin de professionnels de talent. Des groupes de clients potentiels ont ainsi accès à un éventail de domaines liés au patrimoine culturel. Le nombre croissant de projets qui exigent l’adhésion à l’ACECP est une autre mesure parlante de notre influence.

Dans mes sphères de pratique depuis 45 ans, notamment la planification de la conservation et les témoignages d’experts, j’ai vu plusieurs groupes ou parties en litige ou devant les tribunaux retenir les services de leurs propres experts en patrimoine afin de faire entendre leur voix et défendre leurs intérêts. Même si les professionnels ne sont pas toujours d’accord, cette « démocratisation » des résultats favorise l’expression d’un plus grand nombre d’opinions diversifiées, qui ont un réel impact sur les décisions qui affectent notre patrimoine culturel.

Il ne s’agit pas de projets individuels, mais plutôt de plusieurs districts de conservation sur lesquels j’ai travaillé au fil des ans et qui m’ont procuré beaucoup de satisfaction. Je pense par exemple à Dundas, Waterdown et Oakville. Ici en Ontario, la désignation par une municipalité d’un district de conservation de biens culturels est toujours un défi : il faut intervenir auprès des propriétaires fonciers locaux, assurer un sain débat public, comprendre des enjeux contradictoires, mener des recherches historiques, répertorier les caractéristiques patrimoniales particulières du lieu, préparer un plan d’aménagement du territoire et enfin se présenter devant le tribunal. Et tout ça doit se faire dans un budget serré, ce qui nous oblige à rester fermement axés sur les résultats. C’est toujours très gratifiant de visiter ces lieux particuliers, dans certains cas 30 ans plus tard, pour voir comment le patrimoine bâti et les quartiers ont été entretenus ou améliorés, et comment les nouvelles constructions ont été intégrées de façon harmonieuse aux sites établis. Ces districts deviennent de beaux exemples de la complémentarité entre conservation et développement.

Le plus grand défi, c’est de rester pertinents à une époque où les circonstances changent de façon radicale. Notre monde semble aller de crise en crise et de catastrophe en catastrophe. La gestion des ressources culturelles patrimoniales risque d’être évincée du courant dominant, et de devenir un à-côté élitiste et dépassé.

Sans aucun doute être optimiste à l’égard de l’avenir, et reconnaître que même les contributions les plus mineures de toutes les professions liées à la conservation du patrimoine s’inscrivent dans un mouvement global positif qui rend nos vies quotidiennes beaucoup plus agréables et enrichissantes.